Ce n’est plus un secret, malgré l’immatérialité de ses données, l’électronique a un impact écologique fort et croissant : extraction des matières premières et conditions de fabrication polluante, énergie nécessaire au fonctionnement de nos (nombreux) ordinateurs et autres smartphones, obsolescence matérielle et logicielle nous incitant à renouveler nos équipement très régulièrement… La coopérative strasbourgeoise Commown dit stop ! Et surtout, elle propose une solution simple : un parc d’appareils électroniques triés sur le volet pour leur conditions de production et leur réparabilité, mis en location longue durée avec des prix dégressifs pour les utilisateurs qui feront durer leurs appareils le plus longtemps. Cerise sur le gâteau ? Commown (« comm-own ») est une coopérative, les appareils sont la propriété collective des sociétaires et les décisions sont prises collectivement et démocratiquement.
Appareils et usages électroniques : c’est quoi le problème et comment y répondre ?
Avec son image d’immatérialité, l’électronique a longtemps bénéficié du préjugé selon lequel l’impact du numérique serait négligeable : il n’y a qu’à voir le temps qu’a mis à émerger le constat que nos e-mails pouvaient être coûteux d’un point de vue énergétique… « L’idée qu’il faut réduire l’impact écologique de l’électronique commence à faire son chemin », commente Elie Assemat, co-fondateur de Commown et président de l’association Les Solutions existent, « il est essentiel de faire avancer la sensibilisation du public sur ces questions et aussi de faire bouger les choses sur la réparabilité ou l’obsolescence programmée grâce à des actions de plaidoyer. » Pour y voir plus clair sur ces enjeux environnementaux, distinguons la production des appareils et leur usage. Pour produire un ordinateur de 2 kgs, il faut mobiliser 600 kgs de matières premières : « paradoxalement, plus on dématérialise et plus on utilise de matière », explique l’ADEME1, ajoutant que la miniaturisation et la complexification exige beaucoup d’énergie, des traitement chimiques et des métaux rares. La tendance actuelle va dans ce sens, et cela n’a rien de rassurant : aujourd’hui il faut environ 70 matériaux différents pour fabriquer un smartphone, dont 50 métaux différents, alors que ce n’était qu’une vingtaine de métaux il y a 10 ans. Cela sans parler des enjeux éthiques et sociaux de l’extraction et de la production, entre travail mal rémunéré, voire forcé, travail des enfants et exposition aux polluants…
On comprend pourquoi l’allongement de la vie de nos appareils est essentielle : en l’entretenant et en le réparant régulièrement, mon ordinateur durera plus longtemps et ne nécessitera pas d’en produire un entièrement neuf à un rythme soutenu. On estime que passer de 2 à 4 ans d’usage pour un ordinateur améliore de 50 % son bilan environnemental. Encore faut-il que le matériel soit facilement réparable, à la maison ou par un.e professionnel.le – là non plus, ce n’est pas la tendance actuelle (les airpods d’Apple, ces écouteurs sans fil par ailleurs faciles à perdre, ont été notés 0/10 en termes de réparabilité par IfixIt). Pourtant, il existe des entreprises qui militent dès la conception du produit pour faciliter la réparation : l’exemple le plus connu est sans doute le smartphone néerlandais Fairphone, mais cela existe aussi pour le son avec notamment Gerrard Street qui produit des casques audio dont chaque pièce peut être démontée à la main, sans outil. Conçus à la base pour les amoureux de la musique, une gamme « Day » a été adaptée pour le télétravail, avec notamment un micro qui permet la réduction du son ambiant et la clarification de la voix.
On l’a dit, la production d’un ordinateur de 2 kgs est énergivore : on estime que ce sont 103 Kgs équivalent CO2 générés juste pour la production ! Mais son cycle de vie ne s’arrête pas là – en moyenne ce seront 156 kgs équivalent CO2 générés sur l’ensemble de son cycle de vie. Autre point sensible sur lequel, en tant qu’utilisateur.trice.s nous pouvons influer : les usages numériques. Plus de la moitié des gaz à effets de serre (GES) produits au niveau mondial par le numérique est dû aux data centers et infrastructures réseaux : téléchargements, « clouds », streaming audio et vidéo de plus en plus courants… Là aussi, il existe des alternatives : ainsi, le site de Commown a été éco-conçu, le poids de chacune de ses pages est 12 fois moins important que pour un site classique en moyenne.
Plus on prend soin et moins c’est cher : le principe vertueux de Commown
La location longue durée permet à Commown de faire descendre le prix de la mensualité au cours de la vie de l’appareil : ainsi, avec son offre Commown Essentiel, le Fairphone 3 est mis en location à 19,80 euros TTC par mois la première année, mais dès le 13e mois le prix peut descendre à 17,80 euros, puis 15,85 euros la troisième année et jusqu’à 7,90 euros la cinquième. Cette offre est récente et fait suite à une baisse de 25 % (de 27 euros par mois à 18,90 euros par mois la première année), en visant une durée moyenne de 5 ans des Fairphone au lieu de 3 ans auparavant. De plus, on peut relever les « défis collectifs » dont le principe écologique et solidaire permet de faire bénéficier à tous des améliorations des marges de la coopérative.
Ce principe de long terme se retrouve aussi dans la logique du service offert par Commown, qui continue à prendre en charge toutes les pannes même après la fin de la garantie constructeur. Commown accompagne ses clients pour avoir l’usage le moins énergivore possible de son Fairphone et pour démonter soi-même l’appareil en cas de panne ou de casse. Résultat : sans coûts cachés, la location et ces services reviennent le moins cher sur le marché.
Mutualiser pour faire durer et mettre en partage
Par rapport à d’autres offres de location électronique de longue durée, Commown a deux grandes spécificités. La première est que la coopérative loue le matériel et ne le vend jamais : cela signifie que tout ce qui est possible pour prolonger la durée de vie de l’appareil sera mis en œuvre, que le cycle de vie sera pensé jusqu’aux pièces détachées qui permettront la réparation et que la coopérative assure le recyclage de l’appareil dans une filière agréée. Quand on sait que seuls 17% de l’électronique en fin de vie est collecté en France, ce n’est pas rien.
Comment se débrouille-t-elle pour pouvoir avoir des pièces détachées, même sur des modèles anciens et/ou des modèles où le constructeur lui-même ne peut proposer de pièces détachées ? Grâce à la flotte commune d’appareils mutualisés ! Exemple : sur le site de Fairphone, il n’est plus possible d’acheter de micro de rechange pour le Fairphone 2… mais Commown a un stock de pièces issus des Fairphones 2 non-réparables, dont des micros fonctionnels.
La seconde grande particularité de Commown porte sur sa flotte électronique, qui se compose à l’été 2021 de plus de 1500 appareils avec une majorité de smartphones, suivis par les ordinateurs, puis les casques audio. L’ensemble de cette flotte appartient en partage aux Commowners, les sociétaires de la SCIC, qui représentent aujourd’hui un quart des clients de la structure. C’est un bien commun, partagé par des clients et partenaires engagés dans l’action de la coopérative. Chez Commown, explique Elie, on est très attaché à cette idée de bien commun, qui se caractérise par deux choses essentielles : « Juridiquement, le bien commun est co-possédé par les citoyen.ne.s et il est facile d’entrer en co-possession de ce bien – avec 20 euros, en tant que client on peut devenir sociétaire et entrer à part égale dans le processus décisionnel lors des assemblées générales selon le principe « une personne = une voix » qui caractérise l’économie sociale et solidaire. L’autre aspect essentiel, c’est qu’on se projette dans un temps long, la structuration juridique garantit la pérennité de l’organisation et protège les communs. »
Cette capacité à se projeter dans un temps long est le corollaire de la sérénité d’un modèle qui peut valoriser des appareils sur plus de cinq ans, là où la pensée dominante continue à pousser à un renouvellement absurde beaucoup plus récurrent. La meilleure preuve en est que Commown ne pousse pas à louer un smartphone éthique si vous avez un téléphone qui fonctionne : garder votre ancien téléphone est le meilleur geste écologique que vous puissiez faire. En revanche, vous pouvez dès aujourd’hui investir dans un « bon de consomm’action différé », de 10 à 500 euros, qui vous donnera une réduction sur une future location chez Commown lorsque vous en aurez réellement besoin, par exemple lorsque votre ancien smartphone ne sera plus réparable. Une façon concrète de proposer un modèle radicalement différent du temps court et de la consommation effrénée…